Sandra Kim, l’éternelle benjamine

3 mai 1986. Bergen, Norvège. Une jeune Belge de (pas tout à fait) 15 ans offre la victoire à son pays. Comment Sandra Kim a-t-elle conquis le cœur de l’Europe avec son hymne à la vie ?

L’édition 1986 de l’Eurovision Song Contest

Après sa victoire à l’ESC 1985, la Norvège accueille avec grand plaisir l’édition 1986. Un budget considérable est alloué à l’organisation de l’évènement et les autorités norvégiennes ont à coeur de donner la meilleure image de leur pays au reste de l’Europe. Pari réussi !

Un délicieux goût de nostalgie

Si vous revisionnez la 31ème édition de l’ESC sans en regarder l’année, vous pourriez presque avoir l’impression de replonger dans les années 1960. Bien sûr, les rythmes fous imposés par les synthétiseurs et les épaulettes à s’en crever les yeux donnent un petit indice sur la décennie… Mais l’ouverture de la soirée est un petit plaisir « à l’ancienne ».

C’est la belle Ase Kleveland qui présente, seule, la soirée. L’édition s’ouvre sur une (trop) longue présentation des paysages de Norvège en vidéo. Après cette inarrêtable séquence arrive Ase dans sa robe de diamant (true story). Elle salue la famille royale norvégienne présente dans l’assemblée. L’Eurovision, ça avait de la gueule à l’époque !

ase kleveland eurovision 1986 Resplendissante Ase Kleveland

Ase chante ensuite une chanson souhaitant la bienvenue au public et aux téléspectateurs. S’en suit une petite interprétation du générique de l’Eurovision Te Deum par l’orchestre, accompagnée par la voix d’Ase. « Soon we will know who’ll be the best in the Eurovision Song Contest ». Un très beau moment. On ne demande quand même pas grand-chose ! Redonnez à l’Eurovision ses lettres de noblesse, s’il vous plaît !

Notons que tous les participants à cette époque ont la possibilité d’être accompagnés par l’orchestre. Cette possibilité disparaît en 1999 avec l’obligation de bande enregistrée pour les instruments. Ase les présente au micro après les cartes postales, juste avant leur prestation. Elle ajoute une petite information sur chaque groupe ou chanteur. Quelle femme incroyable !

Les votes sont donnés par les jurys nationaux contactés par téléphone. Les grésillements sur les lignes donnent vraiment l’impression d’assister à un événement d’un autre temps.

Une surprise pas si surprenante

Deux pays se sont retirés de la course : l’Italie et la Grèce. Si les Italiens n’ont pas justifié ce choix, la Grèce célébrait le soir de l’événement le Samedi Saint des orthodoxes. L’Islande fait ses premiers pas sur la scène de l’Eurovision. L’Autriche a bien failli ne pas se présenter, Israël s’opposant fermement à la prestation de la chanteuse autrichienne de confession juive après l’élection d’un président ancien membre de la Wehrmacht. C’est sûr que ça fait mauvais genre...

L’une des seules vraies surprises : la performance norvégienne met en scène un chanteur accompagné de deux chanteurs déguisés en femme. C’est la première prestation travestie de l’Eurovision ! Au passage, si vous l’avez manqué, n’hésitez pas à consulter notre article sur les drag queens à l’Eurovision.

travesti eurovision 1986 La Norvège à l’Eurovision 1986

Autre fait appréciable, pour la deuxième fois de l’histoire de l’Eurovision, le podium est composé de trois chansons en français. Cocorico ! Enfin, pas vraiment cocorico… La France n’en fait pas partie. Avec Cocktail Chic, elle se classe 17ème. C’était pourtant pas si mal.

20 pays ont participé au concours. Parmi eux, la jeune Sandra Kim. Nous reviendrons sur sa chanson (et son âge) un peu plus tard… Dès le deuxième vote, la Belgique prend la tête des votes, ne laissant pas beaucoup de place au suspense.

Après sa victoire, Ase demande à Sandra si elle s’attendait à gagner. Elle répond d’abord que non. La présentatrice insiste et parvient à tirer de la jeune chanteuse un « Si, un peu... ». Ah bah bravo le melon ! Surtout que la chanson est loin d’être exceptionnelle...

Un hymne à la vie, vraiment ?

Attention, nous allons dire des choses qui peuvent ne pas plaire à tous. Nous assumons entièrement, puisque J’aime la Vie est l’une des chansons les plus gênantes de l’histoire de l’Eurovision.

Tout commence par un vilain mensonge

Les managers de Sandra Kim, au moment de son inscription au concours, prétendent qu’elle est âgée de 15 ans. Non pas que cela aurait rendu plus acceptable sa prestation, mais quand même ! Sandra Kim n’a en réalité que 13 ans !

Suite à sa victoire, des réclamations sont déposées, notamment par la Suisse arrivée deuxième. Elles n’aboutiront pas puisqu’il n’y a à l’époque aucune limite d’âge. Cette règle sera revue quelques années plus tard, en 1990, portant l’âge minimum à 16 ans et faisant de Sandra Kim la plus jeune candidate de l’Eurovision pour toujours ! Nous ne parlons pas bien entendu de cette hérésie d’Eurovision Junior apparue en 2003...

Portrait d’un malaise

Le fait d’avoir menti sur l’âge de Sandra donne déjà une petite impression de « Promis Monsieur le Juge, je pensais qu’elle était majeure ! ». Mais ce n’est pas la seule source de notre immense gêne.

Focus sur les paroles complètement ridicules dans la bouche d’une enfant qu’elle ait 13 ou 15 ans.

Je vois des gens courber le dos, comme si la vie marquait zéro

Ah bah tout le monde a pas la chance de gagner sa vie en chantant une chanson débile en leggings roses !

Moi j’ai 15 ans et je te dis, Wo Wo j’aime la vie

On va commencer par se dire la vérité. Tu as 13 ans. T’as même pas encore d’acné. T’es pas encore dans ta phase émo-déprimée. T’as même pas de téléphone portable avec un forfait bloqué pour te plaindre.

Il faut y croire, j’ai moi aussi des flashs d’espoir, des insomnies

Ben voyons, comme dirait l’autre. C’est pas une gamine de 13 ans qui va nous donner des leçons. Va payer des factures.

J’aime, J’aime la vie (même si c’est une folie)

Même si c’est une folie ? Pourquoi, à part la rime ?

J’aime j’aime la vie, ne m’en veuillez pas, je suis née comme ça

Tellement envie de faire des crocs-en-jambe. Déjà, tout le monde naît en aimant la vie. Et QUI va lui en vouloir d’aimer la vie ? Qui a écrit ces paroles de parano de… Rosario Marino, que nous ne connaissons pas. Et franchement on a quelques doutes à son sujet...

On va arrêter là l’analyse des paroles et s’intéresser un peu à la diction douteuse de la demoiselle.

Avant de nous traiter de fous, nous vous invitons à réécouter tout de suite la version Eurovision de la chanson, car le « phénomène » n’est pas dans la version studio.

Allez, on se lance. Au lieu de dire « J’aime la vie », elle prononce sur TOUS LES REFRAINS « J’aime, j’aime le vie ». Bizarre, non ? Si vous avez quelques notions de termes désuets, vous saurez que « le vit » désigne les attributs masculins. Voulu, pas voulu ? Simple problème de diction de Sandra ? Notons qu’elle interprète aussi le générique d’Il était une fois la vie, et qu’elle sait parfaitement alors prononcer les A.

Nous n’allons ni sur-analyser ni juger qui que ce soit. Mais on a quand même la drôle d’impression que cette gamine de 13 ans que l’on fait passer pour en ayant 15 et qui chante qu’elle aime « le » vie… c’est très dans le vent des pratiques « acceptables » dans les années 80.

Ajoutons à cela cette petite fin de conversation gênante avec Ase qui lui dit en direct qu’elle a « enfin mérité une grande glace ». On a l’esprit mal placé, c’était une simple référence à son véritable amour pour les crèmes glacés, démontré apparemment lors des répétitions...

Mais où est Sandra Kim ?

Sandra Kim n’a pas complètement disparu des radars. Comme nous l’avons dit, elle interprète après l’Eurovision 1986 le générique d’Il était une fois la vie. Elle sort par la suite 9 albums, le dernier en 2011 intitulé Make Up.

En 2020, après avoir gagné l’édition flamande de Masked Singer, elle reprend Who Are You, des Who. Pas de nouvelles depuis.