Ce samedi 11 mai, c’est la Suisse qui a décroché le titre grâce à Nemo et sa chanson The Code. Slimane, notre fierté, a terminé quatrième. Pourquoi ?
Télévote : un Concours gangrené par la situation géopolitique
« L’Eurovision est un Concours apolitique ». Un leitmotiv qui n’a jamais été aussi peu vrai que pour l’édition 2024.
Tout a commencé avec la non-disqualification d’Israël. En 2022, la Russie est bannie de l’Eurovision en raison de son invasion de l’Ukraine. Dans la foulée, l’Ukraine remporte l’Eurovision. En 2024, la situation entre Israël et Palestine s’invite au Concours de manière plus virulente encore.
Durant des mois, les appels à l’exclusion se multiplient. Des pays menacent de ne pas participer si Israël est autorisé à concourir. Bien entendu, il n’en sera rien et tout le monde, malgré la confirmation de la participation d’Israël, trouvera un représentant pour Malmö.
Au moment de choisir une chanson, Israël échappe de peu à la disqualification. Après deux chansons refusées pour « message à caractère politique », Hurricane d’Eden Golan est validée par l’UER.
Les choses s’envenime. Ce n’est que le début.
Menaces, sécurité rapprochée, mesures exceptionnelles… La participation de l’israélienne plonge l’organisation de l’Eurovision 2024 dans une autre dimension. Les deux dernières semaines de répétitions et de show télévisé sont indéniablement perturbées par les conflits internes. Des artistes et délégations s’opposent plus ou moins ouvertement à la présence d’Eden Golan. Si les marques de soutien à la Palestine sont interdites, on les remarque discrètement lors de prestations et conférences de presse.
Des membres de la délégation israélienne commencent à réagir négativement à une atmosphère qui leur est clairement hostile. Harcèlement, menaces, utilisation des réseaux sociaux pour dénoncer untel ou untel qui serait antisémite… Plus personne ne parle de la qualité des performances des artistes.
Jeudi 9 mai, Israël s’est qualifiée en demi-finale. Le diffuseur italien RAI a intégré « par erreur » (on y croit…) les résultats chiffrés de la demi-finale, ce qui est interdit. Et le choc retentit dans toute l’Europe : l’Italie aurait accordé 40 % de ses voix à Eden Golan. Ils déclareront plus tard que c’est une erreur et que les résultats sont partiels, mais l’attention n’est désormais plus portée que sur ce sujet.
Apothéose du malaise le vendredi 10 mai, veille de la Grande Finale et jour du Jury Show qui compte pour moitié dans la note finale.
Les Eurofans craignent la victoire d’Eden Golan et la fin historique de l’Eurovision. Si Israël gagne, c’est eux qui devront organiser le Concours en 2025. Mais comment le faire en toute sécurité ? Qui pour les aider si l’on devait délocaliser l’événement ? Et surtout, un pays qui aurait dû pour beaucoup être exclu peut-il gagner ? Les votes pour Eden Golan seraient majoritairement des votes de soutien à Israël dans un conflit totalement extérieur au Concours de chant.
Et ce n’est pas fini. Lors de la dernière répétition générale avant le Jury Show, un candidat manque à l’appel. Il s’agit de Joost Klein, représentant néerlandais. Les rumeurs prennent très vite sur les réseaux sociaux. Est-il puni pour ses paroles de la conférence de presse de la veille ? A-t-il eu une altercation, avec un membre de la délégation israélienne ou autre ? Est-il disqualifié ?
L’UER tarde à répondre aux questions des Eurofans. Sur les réseaux, on comprend qu’il est maintenant question de soutien uniquement : à la Palestine, à Joost Klein ou à Israël. C’est sur ces sujets que vont se jouer le Concours.
Samedi en fin de matinée, c’est officiel : Joost Klein est disqualifié. Les Pays-Bas n’auront pas de représentant pour la Grande Finale. Pourtant, la police suédoise a confirmé qu’aucune action gravement répréhensible n’a été commise. Il s’agirait en fait d’un mot malheureux (« je vais te frapper »), envers une membre de la production suédoise qui aurait moqué ses parents décédés (à qui sa chanson Europapa est dédiée.
Quoi qu’il en soit, on ne parle plus désormais que de deux candidats : Eden Golan pour Israël et Baby Lasagna pour la Croatie. Ce dernier étant favori chez les bookmakers, on appelle à un vote massif pour la Croatie afin de « sauver l’Eurovision ». On met les Eurofans devant un choix POUR ou CONTRE Israël, sans autre alternative.
Et au télévote, pas de surprise. Israël obtient 323 points. La Croatie 337. Invité surprise, l’Ukraine récupère 307 points. En quatrième position, notre Slimane national récupère 227 points, soit un de plus que la Suisse qui sera ensuite sacrée vainqueur.
Combien de télévotants se sont laissés berner par un choix POUR ou CONTRE totalement contraire aux valeurs de l’Eurovision ?
Après sa prestation parfaite de la Grande Finale, Slimane méritait d’être soutenu davantage par le public.
Nouveau mode de vote et vote du reste du monde
Et une fois de plus, une situation inédite a impacté les votes...
Cette année, exceptionnellement, les votes du « Reste du Monde » (pays ne participant pas à l’édition 2024) sont ouverts à minuit le jour des demi-finales et de la finale. L’objectif est de réunir davantage de votes des pays qui n’ont d’habitude pas la possibilité de regarder le Concours en direct (en raison de leur décalage horaire).
Le brouillard qui entoure la participation de Joost Klein de vendredi après-midi jusqu’à samedi midi ne permet pas d’ouvrir ces votes comme prévu. D’abord retardés de minuit à une heure, ils sont finalement ouverts dans l’après-midi le jour de la Finale. Autrement dit, le Reste du Monde a eu plus que le temps de se décourager ou d’aller se coucher.
Autre nouveauté de l’année : les votes sont ouverts dès le début de l’émission pour les pays participants. S’il a toujours été dit qu’il était préférable de passer en deuxième partie de soirée, c’est que les votants se souviennent davantage des dernières prestations. Ici, ce n’est plus le cas. Bien au contraire, passer en dernier, c’est passer lorsqu’il ne reste plus beaucoup de temps pour voter. Et tous ceux qui ont voté pendant les prestations n’ont peut-être pas envie de voter pour celui qui passe avant-dernier, même s’il est exceptionnel, puisque voter est, rappelons-le, payant.
Les nouveautés du vote ont donc nécessairement désavantagé, ne serait-ce qu’un peu, notre Slimane adoré, avant-dernier à se produire en Finale.
Jury Show : une performance moins réussie
Outre les télévotes comptabilisés le soir de la finale, les points du jury comptent pour 50 % de la note finale. Mais le jury vote sur une prestation donnée la veille, pendant ce que l’on appelle le « Jury Show ». Finale avant la finale, ce n’est pas une répétition ! Il faut la prendre tout aussi au sérieux que la finale télévisée et tout donner pour convaincre les professionnels.
Si cette soirée n’est pas diffusée, la presse présente a toujours de petites informations à partager discrètement, ainsi que des extraits des passages des candidats.
Au terme du Jury Show, la mauvaise nouvelle se répand sur les réseaux sociaux. Slimane aurait « un peu moins bien chanté » avec de possibles « notes pas très justes » à la fin de sa prestation. Le jury est intraitable. Lors de la Grande Finale, les votes des jurys sont annoncés. Ce sont les fameux « 12 Points go to... ». Et à notre grande surprise, seuls quatre pays nous ont accordé la note maximale. On remercie très chaleureusement l’Arménie, la Slovénie, la Belgique et l’Islande.
Nemo est une pépite
Il faut dire les choses clairement. Même si :
- le concours n’avait pas été pourri par la politique,
- le système de vote était resté celui des années précédentes,
- la prestation de Jury Show avait été aussi parfaite que celle de la Finale,
Slimane n’aurait pas gagné. C’est ainsi.
Nous avons trouvé qu’il le méritait amplement. Mais la victoire de Nemo n’est pas volée.
Nous sommes personnellement ravis que la Croatie et Israël n’aient pas gagné. Leur victoire aurait été entachée de doutes sur les véritables raisons d’un tel succès. Nemo a donné une prestation magnifique, juste, impressionnante en bien des points. Nous lui envoyons toutes nos félicitations.
Nous aurions pu espérer une deuxième place.
Une seule question résonne en nous depuis hier : Slimane n’a-t-il pas donné la meilleure performance possible pour la France ? Nous avons le sentiment douloureux que nous ne pourrons jamais trouver mieux. Pour nous, il a été parfait. La France ne gagnera peut-être plus jamais l’Eurovision.